Le mouton et le colombo
Jean-François Boclé, Le mouton et le colombo, 2001, relational action and participative culinary performance, Oasis Center, Ouagadougou, Burkina Faso. ©Jean-François Boclé/Adagp.
Jean-François Boclé, Le mouton et le colombo, 2001, dispositif relationnel et performance participative culinaire, Centre Oasis, Ouagadougou, Burkina Faso. ©Jean-François Boclé/Adagp.
Le Centre Oasis accueille des personnes vivants avec le VIH, pour la plupart des femmes et leur enfants. Ceci en 2001, à une époque où il n’existait que la bithérapie et à une époque où cette bithérapie était très peu présente pour les personnes vivants dans les pays des Sud(s). Le Centre Oasis était donc pour beaucoup un lieu de fin de vie pour ces femmes mais aussi pour leurs enfants. Cela se ressentait dans beaucoup de regards, de femmes, de fillettes, de garçons. Mais le Centre Oasis était aussi un lieu où l’on riait. Et j’y ai pris ma place dans ce rire. Car j’adore le rire, autant que la cuisine, c’est peu dire.
Et c’était un lieu de partage, et c’est à partir de ce mot que j’ai construit Le Colombo et le mouton. Car tous les jours je partageais le repas dégusté à la main et partagé dans d’énormes plats collectifs. Aussi, quasiment tous les jours j’avais droit à des chenilles fumées venant de Bobo Diolasso, la ville humide du Fasso. Ayant une petite résistance à les manger telles quelles, je les faisais ajouter à mes sandwichs aux oeufs, mes petits déjeuners.
Il m’a beaucoup été donné au centre Oasis alors j’ai également donné, autant que je pouvais. En fin de résidence j’ai donné à manger un Colombo de mouton (à partir d’un mouton entier acheté au marché), et avant cela autour du médium photo. Tout d’abord j’ai offert à chaque enfant un appareil argentique jetable pour documenter le centre. J’ai développé ces photos et leur ai remis et ai donné les négatifs à l’association. Car c’était la condition pour une libre pratique de la photographie : ne pas capter l’image de personnes fragilisées et hautement discriminées dans leur communauté, leur famille. J’ai aussi fait des portraits en couleurs et en noir et blancs des usagers. Je savais que bien souvent c’était la seule trace qui perdurerait de l’être aimé une fois disparu. J’ai aussi accompagné les enfants dans leur pratique photographique sur le mode de l’initiation à ce medium.
En vue de soutenir le travail du Centre Oasis, j’ai proposé aux usagères d’apparaître dans une reportage photo qui apparaitrait dans la revue Combat, une revue militante diffusée largement dans les lieux de santé publique, les bailleurs français et les ministères. La proposition était que via un article sur le centre et ces photos de personnes qui témoignent de leur vécu, les bailleurs soutiennent davantage le centre. L’enjeu, qu’ils reçoivent davantage de biothérapies et de moyens financiers. Deux femmes ont accepté. Une avait une fillette. J’ai longtemps échangé avec elles car pour la plupart c’était impensable d’apparaître dans un reportage photo aux vues du niveau de la discrimination touchant ces personnes.
Quel est mon d’où je parle? C’est celui de quelqu’un qui, séronégatif, a milité plus de 10 ans dans la lutte contre le sida. D’abord dans l’association Doubout’, première association noire lgbt+ et à Combat comme Secrétaire de rédaction, graphiste et militant (actions de préventions…).
La performance Le Colombo et le mouton a pris place au terme de ma résidence. Car il est plus facile de se séparer autour d’un mouton cuisiné que sans. Ces au revoir ont été aussi ceux de deux intervenants, car j’étais accompagné de mon ami actuellement psychosociologue clinicien Willy Falla (Guadeloupe), alors étudiants en psychosociologie. Willy lui a travaillé avec les membres de l’équipe sur la question de l’annonce de la séropositivité.
Aujourd’hui encore avec Willy nous évoquons ce mouton, ces au revoir avec des personnes dont l’espérance de vie était celle décidées par les grands laboratoires pharmaceutiques, les politiques de santé publique des pays du Nord.