jean-françois boclé
Dans les mains de Shaka

Dans les mains de Shaka

Jean-François Boclé, untitled, series Dans les mains de Shaka2025, series of paintings, vinylic painting on paper Arches 640 g, 44 x 44 x 3 cm each framed, view of the studio. ©Jean-François Boclé/Adagp.

Jean-François Boclé, sans titre, série Dans les mains de Shaka2025, série de peintures, peinture vinylique sur papier Arches 640 g, 44 x 44 x 3 cm chaque encadré, vues de l'atelier. ©Jean-François Boclé/Adagp.


Le motif de la main revient dans le travail de Jean-François Boclé depuis 2008. Cette année, il peint pour la première fois des mains - Les mains de Leopold II, des formats 50 x 32 cm. Des mains comme enterrées dans le noir, des mains irrespirables. Il écrit sur deux feuilles de papiers UNE MAIN PAS DEUX.

La forme au fil des ans est comme torturée par le format. Avec les années, ces mains sont de plus en plus petites et finalement envahissante - par leur répétition. Déjà les premiers monochromes apparaissent, l’inouï est alors questionné.

En 2019 à Dakar, MADE IN United Fruit Company (24 x 32 cm), cette nouvelle série fait mémorial du Massacre des bananeraie survenu en Colombie caribéenne en 1928. Boclé a entrepris là de peindre 1000 mains. Autant de mains qu'il y eu d'ouvriers agricoles assassinés par l'armée colombienne dans la région de Santa Marta à la demande de la funeste United Fruit Company (devenue en 1989 Chiquita Brands International), un groupe agro-alimentaire qui pouvait influencer des gouvernements, ou même installer ou déposer les pouvoirs en place, au gré de ses intérêts et de ceux des Etat-Unis.
Dans Cent ans de solitude, Gabriel Garcia Marquez revient sur ce que l'on nomme en Colombie le massacre des bananeraies (Massacre de las bananeraies). Ce fut le déclencheur dans le roman de Marquez des pluies, qui durèrent quatre ans, onze mois et deux jours, qui condamnèrent le village fictif de Macondo. Un Déluge, comme une réponse face à l'avidité humaine, face à un homme qui s'érige au sommet de la chaîne alimentaire du vivant.

En 2022 à La Réunion, l’installation Dans les mains de Léopold II, 150 mains noires caoutchouc comme sorties des cendres de l'oubli, d'outre tombe et placées au sol sur une plateforme blanche reviendront sur l'extraction du caoutchouc et poseront la question de ce que peut être un mémorial des campagnes d'extermination de populations au Congo Belge. Les belges diligentaient entre autres des congolais pour massacrer d’autres congolais, qui refusaient le travail forcé dans les plantations. Pour se faire payer chaque assassinat, les tueurs devaient ramener aux belges la main droite de la victime. Elles étaient ensuite fumées en forêt pour leur conservation. L'inouï de la colonisation. 

En 2025, avec des petits formats, le motif de la main est comme contraint, forclu. Car ce sont les mains de son ami Shaka que Boclé peint. Shaka, ce jeune sénégalais qui a eu pour parcours de migration ou plutôt de fuite - il fuyait des abus répétés au Sénégal - la Libye et après 13 longs mois la Méditerranée. Pourquoi ce resserrement sur les mains de Shaka ? Parce qu’il en souffre de ses mains. Elles sont le miroir de ses tortures. De sa survie. Qu’ont elles dû faire pour assurer à Shaka la survie sur une terre, la Libye, de barbarie ? Ces mains liées dans les centres de détention et de torture, les mains suppliantes, les mains mise en esclavage à mainte reprises en Libye.

Les mains pour Shaka sont la dernière extrémité qu’il ne peut couvrir - même en été il porte des manches longues. Car le corps de Shaka est parcouru d’un réseau de veines apparentes. Le renvoyant au corps du père, il les renie.
Ainsi il interdit à Boclé de photographier ses mains. La représentation photographique est de l’ordre de la reconduction du trauma. Le dessin, lui, est ailleurs.

Les mains peintes par Boclé se disent défigurées, amputées, enterrées, submergées, sinon totalement dissoutes dans de tragiques monochromes noirs. Leur gestuelle, elle, dit leur permanence, leur cri dans nos mémoires.

La main qui peint , il est aussi question de cela, est là pour dire toute la violence humaine.

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