jean-françois boclé
Jaider Orsini, Colombia-2017--ref634
Jean-François Boclé, el territorio

donde se planta la memoria




Text (Spanish and French below) by Jaider Orsini, curator and writter, Colombia (Fondacion Divulgar - Plataforma Canibal, Barranquilla), 2017.

Published in 2017 in Artishock Revista (art magazine, Chile), La Revista Latitud (cultural magazine, Colombia), and El Heraldo (national  newspaper, Colombia). 

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French
Spanish



JEAN FRANÇOIS BOCLÉ. LE TERRITOIRE OÙ LA MÉMOIRE S'IMPLANTE


Fanon est l'arme et Boclé la balle
Fanon et Boclé, une Martinique


Qui aurait cru qu'une banane parlerait autant de la dimension conflictuelle d'un territoire? Jean-François Boclé n'y a pas seulement pensé, il l'a aussi concrétisé en initiant en 2007 son travail sur la banane. Depuis, il a forgé avec force une pensée décoloniale et cannibalisante.

Une décennie de son travail sur les bananes nous parle de la dimension historique et conflictuelle de la colonialité dans les Caraïbes. Boclé assume l'idéologie et l'espace colonial, la déconstruit, la cannibalise et pose une hétérotopie [1] avec un nouveau lieu où il est possible de penser politiquement, économiquement, sexuellement et culturellement.

Boclé est né en 1971 sur l'île de Martinique et vit à Paris depuis l'âge de 17 ans. Je l'ai rencontré personnellement dans le cadre deu Salón Inter (Nacional) de Artistas de Colombia (2013, biennale), dans la ville de Medellín, et je connaissais déjà son travail suite à sa participation à la Première Biennale Internationale d'Art d'Aruba, en 2012. Quand nous l'avons invité à Residencia Caníbal [2] dans le cadre de l'Année France-Colombie 2017, je n'envisageais pas une exposition classique, mais voulais le voir en action, afin de prolonger la dimension territoriale de son corps décolonial. C'est ainsi que pendant deux mois (juin et juillet) nous avons imaginé ensemble une série de conversations, d'explorations et d'actions dans le contexte des Caraïbes colombiennes.

Si je n'ai cessé d'être interpelé par une série d'installations d'un grand contenu social et politique comme Tout doit disparaître ! (2001), Boat (2004), Consommons Racial (2005-), Le Petit Musée des Horreurs Coloniales (2007) ) et Si ton musée est mort, essaye le mien(2011), ce qui m'a attiré, c'est la façon dont fonctionnait la performance Political Jam, qui avait déjà été présentée à la Biennale de Dakar au Sénégal (2016), et qui, dans le contexte de la Caraïbe colombienne, avec réalisme, incarna la mémoire de la violence des bananeraies - qui a eu lieu dans la municipalité de Ciénaga à la fin des années 1920 - où, paradoxalement, un fruit fragile et exotique, la banane, nous dit une histoire tragique de soumission, d'exploitation, de génocide et de toxicité de l'environnement, social, et naturel.


Boclé est traversé par les plantations; la banane lui a fourni la dimension d'une pensée contemporaine qui revendique constamment la mémoire décoloniale. Depuis son arrivée à Barranquilla, pendant un peu plus d'une semaine, nous avons eu plusieurs conversations qui ont permis de construire une route (camino real, esp.) sur laquelle nous souhaitions voyager. L'imaginaire de García Márquez, Fanon, Glissant, De Andrade et Benítez-Rojo apparu de manière récurrente comme le socle de ce carrefour de pensées qui, aux côtés des histoires populaires, des contrastes sociaux et des vibrations musicales, nous signalent que nous habitons un lieu commun relié par le rythme de la mer et traversé inévitablement par l'histoire de l'atroce système des plantations (canne à sucre, tabac, coton, banane, ...).

Les conversations ont été casiment toujours précédées par de quoi manger. Au milieu de la préparation d'un chatrou (fricassée de poulpe de la Martinique et de la Guadeloupe), nous nous interrogions avec passion sur la possibilité d'un autre lieu pour « être nous», au-delà de la plantation et des démonstrations intellectuelles de résistance qui, pour beaucoup, figent aujourd'hui l'identité. Nous n'avons cessé de penser notre système digestif, ses métabolismes et sa relation étroite avec le système culturel de la Caraïbe. La relation entre la bouche et la nourriture devenait un espace pour penser la Caraïbe; Il s'agissait là pour nous de digérer tous les aliments mous par lesquels nous avions été soumis. Nous avons pu voir l'espace caribéen comme un grand système digestif qui pouvait tout avaler, tout transformer. Nous n'étions pas dans la métaphore. Littéralement, nous parlions du pouvoir de manger comme un acte qui reliait, voracement, culturel, politique, économique, spirituel et territorial. Quelque chose qui définit la vie même des caribéens.


"Si mon Amérique a survécu, en partie, au premier pas d'un Colón Cristóbal et aux quais des ports (in)humains, et si l'Amérique a survécu à elle même dans les siècles qui on suivi, c'est parce que l'homme y a inventé un "se laisser traverser" par la violence, la toxicité, un un "se laisser traverser", condition de la constitution d'un "Nous" américain" [3]


Lorsque nous avons effectué les premiers voyages exploratoires dans les villes de Barranquilla, Cartagena et la Zona Bananera (la Zone Bananière, qui est aussi une ville), nous avons été interpellés par l'apparente tranquillité ressentie dans ces lieux, et la façon dont les gens utilisaient des dictons populaires comme : "Il n'y a pas de mal qui dure cent ans, ni de corps qui lui résiste" (“No hay mal que demore cien años, ni cuerpo que lo resista”). Il semblait que tout le monde paraphrasait García Márquez, tout en faisant référence au fait que le temps devrait naturellement résoudre les problèmes quotidiens. Nous avons alors établi des relations temporelles et spatiales qui nous ont permis de comprendre le système des plantations comme technologie historique conjuguant parfaitement les actions de planter / implanter et qui était maintenant érigée en une machine de temps, de désir et de séduction; où la colonisation avait non seulement duré plus de cinq siècles, mais où même nos corps avaient continué à lui résister.

Nos corps étaient alors entrés dans un état de contemplation aléatoire, courant beaucoup et mangeant peu. Nous étions spectateurs d'une substitution des aliments mous par des produits solides qui, selon nous, avaient généré un nouvel ordre Nous continuions ainsi de faire partie d'un système d'exploitation où nous sommes passés de la canne à sucre, du tabac, du coton et des bananes à l'exploitation minière. C'est-à-dire des aliments qui, par une sorte de chance, reviennent au corps, et sont susceptibles d'être transformés; à une série de produits rigides et volatiles qui contrôlent maintenant le comportement et le déplacement du corps. En ce sens, il était important de repenser la manière dont fonctionnait la résistance: combien elle a été utile dans la construction de l'identité culturelle et combien elle est vulnérable face à l'appropriation de la mémoire. Peut-être est-il opportun de comprendre la résistance comme une énergie anthropophagique qui active notre mémoire historique.

Nous avons pu prendre la mesure de cette énergie cannibalisante lorsque Boclé a réalisé la performance Political Jam le 8 juillet dans la cour de l'Aliance Française de Barranquilla. Pendant près d'une demi-heure, à une table et avec un poêle à charbon de bois, il prépara pour le public une confiture de bananes avec des produits dérivés des plantations. La confiture a été préparée avec 10 kilos de sucre de canne, de la vanille, de la cannelle, de la noix de muscade, du citron, du rhum ambré et plus de 50 bananes dont l'artiste avait préalablement marqué la peau – par scarification - de ses écrits. Des crits qui s'étaient approprié l'histoire, la musique, des dictons populaires et les conversations qu'il avait pu avoir dans la rue durant son séjour. Dans un acte de dépossession, il prenait chaque banane, puis, la tenant de ses deux mains, face au public, il disait ces phrases avec différentes tonalités de voix et dans différentes langues des Amériques (espagnol, anglais, français et créole). Alors il épluchait la banane et jettait sa peau aux pieds de public avec différents niveaux d'intensité - selon ce qui avait été dit -. Sur une planche à découper, la chaire de la banane était hachée et écrasée puis versée dans le chaudron qui mijotait sur le chaudron de bois.


“La sangre de la banana nunca se quita (La sève de la banane jamais ne s'efface)
A fruit, a gun
Mi canibalismo, tu liberalismo
Lexotisme de la violence
United fist Company
Your white monoculture
Gracias al presidente Simón Bolívar, atentamente: Almirante Padilla
(Merci au Président Simon Bolivar respectueusement: Amiral Padilla)
Macondo, Martinica, Guadaloupe, nuestras distopías submarinas
(Macondo, Martinique, Guadaloupe, nos dystopies sous-marines)
La vida te da sorpresas, sorpresas te da la muerte
(La vie te fais des surprises, la mort aussi – extrait remanié d'un morceau de salsa)
Ton bonheur tue
1492 / 1928 / 2017 sangre sobre sangre” 
(1492 / 1928 / 2017 la reconduction du sang)”
 [4]
 

Comme cela a lieu dans les rituels du vaudou ou de la Santeria, Boclé était possédé par la force de la langue et du mot; il déconstruisait l'oralité, générant un scénario pour déclamer sa «poétique décoloniale et cannibale». À ce moment de la performance, il était un organisme qui avait le pouvoir d'amplifier et de recycler la mémoire coloniale. Dans le public, il y avait une certaine atmosphère de densité et d'inflexibilité; les phrases que le public ne pouvaient pas comprendre, il pouvait les ressentir. Les coups secs du couteau avec lequel il coupait les bananes marquaient des scansions, refermant et ouvrant. Bien qu'il s'agissait d'un acte répétitif, chaque coup activait des sensations distinctes et entrainait le public dans un concert de calypso et reggae, dans un exorcisme collectif, une foudroyante découpe de l'histoire officielle. À la fin de l'action, le public s'est approché de la table pour goûter à la confiture. À cet instant, ils mangeaient et murmuraient sur ce qu'ils ingéraient, associant cette nourriture avec toute la charge symbolique que Boclé avait incorporée quelques minutes plus tôt dans cette confiture.

La confiture qui n'avait pas été consommée par le public, nous l'avons emballée et conservée pendant plusieurs jours, car nous avions prévu un second temps pour cette performance, qui a eu lieu au Barrio La Paz, au sud-ouest de la ville de Barranquilla, précisément, à côté de la bibliothèque communautaire de Biblopaz. Dans cet autre espace a été reproduit la même scénographie, mais dans l'espace public. Ici, le passant s'est vu offrir une dégustation, accompagnée d'une affiche conçue pour interpeler qui disait: "Confiture de Martinique gratuite". Cette action s'est révélée d'une grande force, car peu si les personnes étaient invitées à se rapprocher, elles étaient réticentes à croire que quelque chose leur était donné gratuitement. Nous avons réalisé que la vulnérabilité de la bouche générait beaucoup de méfiance, et cette méfiance engendrait des actes de résistance. Par exemple, après la performance, nous ne pouvions arrêter de parler d'un jeune homme qui avait dans la bouche, dissimulée sous la langue une lame de rasoir Gillette. Alors que Boclé l'invitait à gouter à la confiture, Il nous regardait sans dire un mot, et déplaçait d'un côté à l'autre de sa bouche la lame de rasoir avec sa langue. Il fini par sortir la lame de sa bouche, et, la tenant dans une main, il l'agita latéralement puis coupa une bâche en plastique qui était à côté. C'était quelque chose de vraiment laconique, une confrontation territoriale dans laquelle il ressentait le besoin d'imposer son langage. Un geste d'une grande subtilité avait remué la mémoire et la nature de la violence à ce lieu.

Bien que pour beaucoup d'artistes et de penseurs caribéens, la résistance soit un espace important quand il s'agit d'interpréter et définir la Caraïbes, pour Boclé la résistance a cessé d'être une option puisque son corps fonctionne comme une sorte de parangolé [5], où avec son corps cannibale, il traverse des situations se convertissant en la violence, en même temps qu'il est traversé par la violence. Derrière chacune de ses propositions coexiste une action performative qui transite entre la vie et la mort, où vous pouvez le voir mourir et naître en un clin d'œil. C'est en soi la même présence de fragilité que le corps et la violence partagent.

La castration coloniale est un terme très important pour comprendre la sexualité à laquelle se réfère Boclé : une sexualité qui traverse les frontières du politique pour parler de désir et de spiritualité comme langues d'émancipation. On peut le voir dans ses dessins de bananes décomposées avec lesquelles l'imaginaire hégémonique du phallus se destructure sous l'action d'une force semblable à celle, tranchante, exercée à la machette par un ouvrier dans une bananeraie. C'est la multiplicité constante et la répétition organique qui caractérise son travail.

Boclé ne peut être catalogué dans une langue spécifique, c'est pourquoi il est très difficile de l'envisager à partir de la performance, de la vidéo, de l'installation ou de ses dessins: j'aime à le voir via la façon dont il matérialise sa pensée dévorante. Je pense que ses œuvres-situations parlent d'un artiste qui a assumé la colonialité / décolonialité dans sa vie. Je suis sensible au dévouement et la précision dont il fait preuve dans le développement de son travail : c'est un véritable sable mouvant, où on ne peut percevoir clairement sa présence et son rôle. À un certain moment, vous pouvez sentir qu'il est un artiste qui produit une œuvre; dans une autre circonstance, vous pouvez l'assimiler comme une œuvre en soi et, dans une autre, très spécial,e ça ne l'intéresse pas pas produire ou être une œuvre, mais plutôt de devenir un espace qui s'ouvre pour qu'il se passe des choses. Il se manifeste clairement comme un lieu ambigu et fragile qui métabolise et transforme les expériences physiques et symboliques de la vie.

[1] FOUCAULT, Michel: “Of other spaces”, Diacritics No. 16, pgs. 22-27, 1986.
[2] C'est un espace de la Fondation Divulgar implanté dans la ville de Barranquilla depuis 2014, et centré sur la production, la formation, la circulation et la diffusion des pratiques artistiques actuellement en cours dans la région des Caraïbes colombiennes. www.fundaciondivulgar.org
[3] Réflexions de J. F. Boclé issues de conversations et d'explorations à la Résidencia Canibal.
[4] Quelques-unes des phrases écrites sur les bananes et prononcées par J. F. Boclé dans l'action Political Jam dans la ville de Barranquilla.
[5] Parangolé d'Hélio Oiticica est un ensemble d'œuvres qui sont nées, selon l'artiste lui-même, d'un «besoin vital de dés-intellectualisation, de désinhibition intellectuelle, de besoin de liberté d'expression». Ces enveloppes corporelles collectives ont été définies par l'artiste comme une agitation soudaine.

Jaider Orsini






JEAN FRANÇOIS BOCLÉ. EL TERRITORIO DONDE SE PLANTA LA MEMORIA


Fanon es el arma y Boclé la bala
Fanon y Boclé un Martinique
 


Quién iba a pensar que una banana hablara tanto de la dimensión conflictiva de un territorio. Jean François Boclé no solo lo ha pensado, también lo ha hecho posible cuando inició su trabajo con las bananas en el año 2007. Desde entonces, ha forjado una fuerza de pensamiento decolonial y canibalizadora.

Una década de su trabajo con el banano nos habla de la dimensión histórica y conflictiva de la colonialidad en el Caribe. Boclé asume la ideología y el espacio colonial, lo deconstruye, lo canibaliza y nos plantea una heterotopía [1]con un nuevo lugar en el que es posible pensarnos política, económica, sexual y culturalmente.

Boclé nació en la isla de Martinica en 1971 y vive en París desde los 17 años. Lo conocí personalmente en el marco del Salón Inter (Nacional) de Artistas de Colombia (2013), en la ciudad de Medellín, y ya tenía referencias de su trabajo cuando participó en el Primer Encuentro Bienal Internacional de Arte de Aruba, en el 2012. Cuando lo invitamos a Residencia Caníbal [2] en el marco del Año Cruzado Colombia-Francia 2017, no quería pensar su trabajo a través de una clásica exposición de salón, quería verlo en acción prolongando la dimensión territorial de su cuerpo decolonial. Así fue como durante dos meses (junio y julio) logramos imaginar conjuntamente una serie de conversaciones, exploraciones y acciones en el contexto del Caribe colombiano.

Si bien no dejaban de llamar mi atención un grupo de piezas instalativas de gran contenido social y político, como lo son Todo debe desaparecer (2001), Barco (2004), Consumimos racial (2005), El pequeño museo de los horrores coloniales (2007) y Si tu museo está muerto, prueba el mío (2011), finalmente lo que me atrajo fue la forma en la que operaba el performance Political Jam (Mermelada política), la cual había sido presentada anteriormente en la Bienal de Dakar, en Senegal (2016), y que funcionaba para el Caribe colombiano como una especie de realismo que corporeizaba la memoria de la violencia de las bananeras, ocurrida en el municipio de Ciénaga a finales de los años veinte, donde paradójicamente un fruto tan frágil y exótico como el banano encarna una trágica historia de sometimiento, explotación, genocidio y toxicidad del medio social y natural.

Boclé ha sido atravesado por las plantaciones; la banana le ha proporcionado una dimensión de pensamiento contemporáneo que constantemente reivindica la memoria decolonial. Desde su llegada a Barranquilla, durante algo más de una semana, sostuvimos varias conversaciones que ayudaron a labrar un camino real por el que nos interesaba transitar. El imaginario de García Márquez, Fanon, Glissant, De Andrade y Benítez-Rojo aparecieron recurrentemente como piso de este cruce de pensamientos que, entre relatos populares, contrastes sociales y vibraciones musicales, nos indicaban que estábamos habitando un lugar común conectado por el ritmo del mar y cruzado inevitablemente por la historia del sistema atroz de las plantaciones (caña de azúcar, tabaco, algodón, banano, entre otros).

Las conversaciones casi siempre estaban precedidas por algo para comer. En medio de la preparación de un “pulpo de Martinica”, nos preguntábamos agitadamente por la posibilidad de otro lugar para “ser nosotros”, más allá de la plantación y las manifestaciones intelectuales de resistencia que, en el presente, habían generado cierto grado de estabilidad identitaria. No parábamos de pensar en nuestro sistema digestivo, sus metabolismos y su estrecha relación con el sistema cultural del Caribe. Era entonces la relación entre la boca y la comida ahora un espacio para pensar el Caribe; también era una forma de digerir todos esos alimentos blandos por los que habíamos sido sometidos. Podíamos ver el espacio Caribe como un gran sistema digestivo que todo lo podía ingerir y transformar. Realmente no estábamos aludiendo a una metáfora. Hablábamos literalmente del poder de comer como un acto que enlazaba vorazmente lo cultural, lo político, lo económico, lo espiritual y lo territorial. Es algo que define la vida misma del caribeño.


“Si mi América ha sobrevivido, en parte, al primer paso de un Colón Cristóbal y a los muelles de puertos (in)humanos, y si América ha sobrevivido a ella misma en los siglos siguientes, es porque el hombre ha inventado allí un ‘dejarse atravesar’ por la violencia, la toxicidad, condición de la constitución de un ‘Nosotros’ americano” [3]


Cuando realizamos algunos viajes exploratorios en las ciudades de Barranquilla, Cartagena y la zona bananera, nos conmovió la aparente tranquilidad que se podía sentir en estos lugares, y la manera en la que las personas usaban ocurrentemente algunos dichos populares, por ejemplo: “No hay mal que demore cien años, ni cuerpo que lo resista”. Parecía que todo el mundo parafrasease a García Márquez, pero realmente se estaban refiriendo al sentido en el que el tiempo naturalmente debería resolver los problemas cotidianos. A partir de ello, hacíamos relaciones temporales y espaciales que nos permitían entender el sistema de plantaciones como una tecnología histórica que conjugaba perfectamente como sinónimos las acciones plantar/implantar y que se erigía ahora como una máquina del tiempo, el deseo y la seducción; donde la colonización no solo había durado más de cinco siglos, sino que aun nuestros cuerpos seguían resistiéndola.

Ahora nuestros cuerpos habían entrado en un estado azaroso de contemplación, donde corrían mucho y comían poco. Éramos espectadores de una sustitución de alimentos blandos por productos sólidos, lo cual, sentíamos que había generado un nuevo orden en las relaciones sociales y humanas de cara al capitalismo, la globalización y la colonialidad.  Era así como seguíamos haciendo parte de un sistema de explotación donde pasábamos de la caña de azúcar, el tabaco, el algodón y el banano, a la extracción minera. Es decir, de alimentos que por alguna especie de suerte volvían al cuerpo susceptibles de ser transformados; a una serie de productos rígidos y volátiles que ahora controlaban el comportamiento y desplazamiento del cuerpo. En ese sentido, se hacía importante repensar la forma en la que la resistencia estaba obrando: lo valiosa que ha sido en la construcción de la identidad cultural y lo vulnerable que es en la apropiación de la memoria. Quizás sea oportuno entender la resistencia como una energía antropofágica que activa nuestra memoria histórica.

Esa energía canibalizadora la pudimos apreciar cuando Boclé llevó a cabo su acción Political Jam el pasado 8 de julio, en el patio de la Alianza Francesa de Barranquilla. Por casi media hora, en una mesa y un anafe con carbón, estuvo preparando para el público una mermelada de banano con algunos productos derivados de las plantaciones. La mermelada fue preparada con 10 kilos de azúcar, vainilla, canela, limón, ron y más de 50 bananas que habían sido rotuladas en su piel anteriormente por el artista con frases populares que apropiaba de la historia, la música y las conversaciones con las personas en la calle. En un acto de despojo tomaba la banana con sus dos manos, pronunciaba frente al público las frases en distintos idiomas de las américas (español, inglés, francés y creole) y tonos de voz, les quitaba la piel, las arrojaba a los pies del público con variada intensidad, y procedía a picarlas en una tabla sólida para luego verterlas en un caldero que hervía a fuego lento.

 
“La sangre de la banana nunca se quita
A fruit, a gun
Mi canibalismo, tu liberalismo
l’exotisme de la violence
united fist Company
your white monoculture
Gracias al presidente Simón Bolívar, atentamente: Almirante Padilla
Macondo, Martinica, Guadaloupe, nuestras distopías submarinas
La vida será sorpresa, sorpresa será la muerte
Ton bonheur tue, tu felicidad mata
1492 / 1928 / 2017 sangre sobre sangre” 
[4]
 

Al mejor estilo de los rituales del vudú y la santería, Boclé había sido poseído por la fuerza de la lengua y la palabra; estaba deconstruyendo la oralidad, generando un escenario para declamar su “poética decolonial y caníbal”. En ese momento, era un cuerpo con el poder de amplificar y reciclar la memoria colonial. Dentro del público se percibía cierta atmosfera de densidad y rigidez; las frases que no podían entender las podían sentir. Los golpes secos del cuchillo con el que picaba las bananas marcaba la entrada y salida de una situación a otra. Aunque era un acto repetitivo, cada uno activaba sensaciones distintas que conllevaban al público a describirlo como un concierto de calipso y reggae, un exorcismo colectivo o un corte fulminante a la historia oficial. Al final de la acción el público se acercó a la mesa a degustar la mermelada; por un tiempo estuvieron comiendo y murmurando muy escépticos de lo que estaban ingiriendo. De alguna manera, no dejaban de relacionar ese alimento con toda la carga simbólica que Boclé le había incorporado minutos antes.

La mermelada que no había sido consumida en totalidad por el público el día de la performance la mantuvimos debidamente envasada y conservada por varios días, porque teníamos pensado un acto seguido, el cual se desarrolló en el Barrio La Paz, al suroccidente de la ciudad de Barranquilla, precisamente, al lado de la Biblioteca comunitaria Biblopaz. En el lugar se reprodujo la misma escenografía de la performance en el espacio público. En este caso, se ofreció al público transeúnte una degustación, acompañada de un llamativo cartel que decía: “Mermelada de Martinika gratis”. Esta acción fue bastante fuerte, ya que por mucho que se le insistía a la gente para que se acercara, éstas se resistían a creer que era algo que le estaban ofreciendo gratuitamente. Pensábamos que la vulnerabilidad de la boca generaba mucha desconfianza, y esta desconfianza generaba actos de resistencia. Por ejemplo, no podíamos dejar de hablar del joven que traía en su boca una cuchilla Gillette, nos miraba fijamente y la movía de un lado a otro con la lengua, sacándola una y otra vez y cortando un cúmulo de bolsas plásticas que estaban alrededor. Era algo realmente lacónico, una confrontación territorial en la que él sentía la necesidad de imponer su lenguaje. Un gesto tan sutil había removido la memoria y naturaleza de la violencia en ese lugar.

Aunque para muchos artistas y pensadores caribeños la resistencia es un espacio importante a la hora de interpretar y definir el Caribe, para Boclé la resistencia circunstancialmente dejaba de ser una opción, ya que su cuerpo opera como una especie de parangolé oiticicano [5], donde él con su cuerpo caníbal atraviesa las situaciones convirtiéndose en violencia, incluso, para la misma violencia. Detrás de cada uno de sus propuestas coexiste una acción performativa que transita entre la vida y la muerte, donde puedes verlo morir y nacer en un abrir y cerrar de ojos. Es en sí la misma presencia de la fragilidad que comparten el cuerpo y la violencia.

La castración colonial es un término bien importante para entender de la sexualidad a la que se refiere Boclé: una sexualidad que traspasa las fronteras de lo político para hablar del deseo y la espiritualidad como lenguajes de la emancipación. Esto lo podemos ver en sus dibujos de “bananas descompuestas” con las que desestructura el imaginario hegemónico del falo bajo una fuerza similar a la acción de corte que ejerce un jornalero con su machete en una plantación de bananas. Es la constante multiplicidad y repetición orgánica que adquiere su trabajo en el tiempo.

A Boclé no se le puede encasillar dentro de un lenguaje específico, por eso, es muy difícil mirarlo desde la performance, el video, la instalación o sus dibujos: me gusta verlo desde la forma en la que materializa su pensamiento devorador. Creo que sus obras-situaciones hablan de un artista que ha asumido la colonialidad/decolonialidad en el sentido de su vida. Me contagia mucho la entrega y precisión con la que se aproxima al desarrollo de sus trabajos: es una verdadera arena movediza, donde no se puede percibir claramente su presencia y rol. Por un momento, puedes sentir que es un artista que produce una obra; en otra circunstancia, puedes asimilarlo como una obra en sí mismo y, en otra, muy especial, donde no le interesa producir ni ser la obra, sino convertirse en un espacio que se abre para que pasen cosas. Se despliega claramente como un lugar ambiguamente frágil que metaboliza y transforma las experiencias físicas y simbólicas de la vida.
 

[1] FOUCAULT, Michael: “Of other spaces”, Diacritics Nº 16, págs. 22-27, 1986.
[2] Es un espacio de La Fundación Divulgar que funciona en la ciudad de Barranquilla desde el año 2014, enfocado en la producción, formación, circulación y difusión de las prácticas artísticas que se gestan actualmente en la región Caribe colombiana. www.fundaciondivulgar.org
[3] Reflexiones de J. F. Boclé que surgieron del intercambio de conversaciones y exploraciones en Residencia Caníbal.
[4] Algunas de las frases escritas escritas en las bananas y pronunciadas por J. F. Boclé en la acción Political Jamen la ciudad de Barranquilla.
[5] Parangolé, de Hélio Oiticica, es un conjunto de obras que nació, según el propio artista, de “una necesidad vital de desintelectualización, de desinhibición intelectual, de la necesidad de una libre expresión”. Estas envolturas corporales colectivas fueron traducidos por el artista como una agitación súbita.


Jaider Orsini

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