jean-françois boclé
Evelyne Toussaint, France-2007--ref250
« Elías Heim, Jean-François Boclé, Mounir Fatmi : l'art, aujourd'hui, dans sa fonction critique »
Texte d’Evelyne Toussaint

Évelyne Toussaint Maître de conférences en histoire de l’art contemporaine à l’université de Pau et des Pays de l’Adour publié en mars 2007 dans l’essai Les Formes contemporaines de l’art engagé -
De l’art contextuel
aux nouvelles pratiques documentaires (sous la direction d’Éric Van Essche).
Collection « Essais », La Lettre volée (http://www.lettrevolee.com/lartengage.html), co-édition Institut Supérieur d’Etude du Langage Plastiques (ISELP : http://www.iselp.be/), ISBN 978-2-87317-310-4 
272 p., 18 illustrations n/b, 15 x 21 cm.

Contributions : Muriel Andrin, Paul Ardenne, Aurore d’Utopie, Sébastien Biset, Aline Caillet, Hans Cova, Alexia Creusen, Florence de Mèredieu, Yves Depelsenaire, Thibaut de Ruyter, Virginie Devillez, Philippe Franck, Denis Gielen, Jean-Marc Lachaud, Arlette Lemonnier, Lucifer Pink, Enrico Lunghi, Cécile Massart, Catherine Mayeur, Tania Nasielski, Michel Poivert, Carolina Serra, Évelyne Toussaint, Jean-Philippe Uzel, Daniel Vander Gucht, Éric Van Essche, Vincent+Feria et Didier Vivien.






Elías Heim, Jean-François Boclé, Mounir Fatmi : l'art, aujourd'hui, dans sa fonction critique
Représentatifs de "nouvelles formes de l'art engagé", les travaux d'Elías Heim, Jean-François Boclé et Mounir Fatmi présentés ici ont fait l'objet de trois expositions monographiques au centre d'art contemporain Le Parvis en 2004 et 2005. Ils témoignent des capacités d'explicitation, de l'inventivité et des qualités esthétiques de l'art, aujourd'hui, dans sa fonction critique.
(...)


Jean-Fraçois Boclé


(...) L'exposition Outre-Mémoire Regards croisés sur l’esclavage et la mémoire de la Traite Atlantique , présente plusieurs œuvres, parmi lesquelles : Outre-Mémoire ; Tu me copieras ; Tout doit disparaître ! ; et Aller simple, qui parlent de la traite des Noirs avec des outils conceptuels et formels liant art et politique.
0utre-Mémoire est une installation de huit tableaux noirs et de sièges d'écoliers. Sur chaque panneau figure un calligramme à la craie blanche, l'écriture dessinant une silhouette. Le texte est composé d'extraits du Code Noir qui fonda en droit l'impensable déshumanisation de millions d'individus, donna à l'esclave le statut de "bien meuble" et renforça l'interdiction des alliances entre Noirs et Blanc. Dans ce règlement, rédigé en 1685 puis revu en 1723 avant son abolition en 1848, l'humanité des Noirs est niée, effacée, comme l'humain est peu à peu envahi par le langage qui le submerge dans les tableaux de Jean-François Boclé.
Ses propres écrits, sensibles et efficaces, accompagnent ses créations plastiques : "Pour la première fois, écrire sur les tableaux noirs de mon enfance : 'nègre' aux côtés de 'marchandise' et 'bien meuble'. À la craie blanche, celles et ceux, juridiquement dessinés en négatif de l’Humanité par le Code Noir. Inscrire une disparition, faire trace d’une absence définitive et oubliée" . La reconnaissance de la traite des Noirs en tant que crime contre l'humanité date du 21 mai 2001, mais, constate Jean-François Boclé, les commémorations semblent n'y rien pouvoir, pas plus que les travaux scientifiques qui font débat. Comment en témoigner ?
C'est également le propos de Tu me copieras , vidéo où l'on voit l'artiste, de dos, écrire et réécrire en superposition un texte à la craie blanche sur le tableau noir, jusqu'à ce que celui-ci soit recouvert d'entrelacs illisibles, jusqu'à saturation, jusqu'à disparition des mots ressassés. Le visiteur entend, au casque, les soixante articles oubliés de ce Code Noir génocidaire, envahissant son espace sonore et visuel. Il n'est pas opportun, affirme Boclé, de "passer l'éponge".


(...) Selon des modalités que l'on pourrait qualifier d'"esthétique de la disparition" mais aussi très frontalement, sans aucune concession ni ambivalence, Jean-François Boclé met en action le "discours du maître" et donne à voir l'oppression et la négation de toute singularité par une autorité absolue sans cesse relayée aux niveaux religieux, politique, familial et intra-psychique. Il suffit de constater la persistance de débats suscités par l'esclavage et la colonisation dans les milieux universitaires et politiques comme dans le grand public pour reconnaître l'actualité de la question. Contre le déni, le négationnisme, l'oubli, il est encore opportun de se demander, par exemple avec Catherine Coquio et les auteurs de L'histoire trouée, négation et témoignage , ce qui rend un événement "invisible, inintelligible, incompréhensible" et "quel rôle peuvent y jouer l'histoire, le droit, la politique, l'art, la psychanalyse, la philosophie ?". Pour ce qui est de la fonction de l'art, Jean-François Boclé répond en partie à la question.

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