Manifiesto Bananero #1
Jean-François Boclé, untitled, series Manifesto Bananero, 2010, series of 24 paintings, vinylic painting and graphite on paper Arches 660g, 32 x 24 cm each, D'une courte voix du monde, Le Centre, Cotonou, Benin, 2019. ©Jean-François Boclé/Adagp.
Jean-François Boclé, sans titre, série Manifesto Bananero, 2010, série de 15 peintures, peinture vinylique, mine de plomb et fusain sur papier Arches 660g, 32 x 24 cm chaque, D'une courte voix du monde, Le Centre, Cotonou, Bénin, 2019.. ©Jean-François Boclé/Adagp.
French below
Bananas remains today an icon of a exoticised fantasized elsewhere as it takes us to the figure of a dominated otherness. The fruit tells us the impossible, yet necessary, fluidity between endogenous and exogenous.
It also summons in the imaginary some type of economic and political models, often export monocultures not considering health working conditions of farm workers, the issue of landless people, or compliance with the environment - like in Martinique et Guadeloupe. It gave its name to the writer O. Henry political regimes had called "Banana Republics" , puppet states promoting the interests of big trusts. This was the case in Latin America with the famous and baneful United Fruit Company (now Chiquita Brands International since 1989), a food group that could influence governments, or even install or remove the powers that be at the discretion of its interests and those of the United States.
In Hundred Years of Solitude, Gabriel Garcia Marquez returns to one of the highlights of the United Fruit Company and capitalism, the banana massacre (Massacre de las bananeras), perpetrated by the Colombian army at the request of the United Fruit Company in 1928. Nearly 1,000 unionized agricultural workers are being massacred in Ciénaga, in the region of Santa Marta (the Caribbean coast of Colombia).
This massacre was the trigger in Marquez's novel of the rains, which lasted four years, eleven months and two days, which condemned the fictional village of Macondo. A Deluge, as a response to human greed, facing a man who stands at the top of the food chain of the living.
These Warholian starlets appear to us in their bipolarity: immaculate yellow careless and forgetful, unbridled smiles, exotic to crunch, they appear also to us traversed by a tracery of lines and black stains revealing injured skin, scarified, folded or rotten body.
Manifiesto Bananero puts in tension Paradise and toxic, exotic and worry, living and impotence. As the series of painting Dentro la manos or the installation The Tears of Bananaman (2009, ongoing) - 300 kg of bananas scarified of words rot for the duration of the exhibition, Manifiesto Bananero raises the question of the toxic part of man.
* Producing countries in the twentieth century were located in Central America, tropical Africa and Caribbean. Bananas have recently mutated in its geography in the context of globalization: the first producers are now India and China.
La banane reste aujourd'hui l'icône d'un ailleurs exoticisé et fantasmé, comme elle nous renvoie à la figure d'une altérité radicale. Le fruit nous dit l'impossible, et pourtant nécessaire, fluidité entre endogène et exogène.
Elle convoque également dans l'imaginaire un certain type de modèle économique et politique bien souvent des monocultures d'exportation faisant fi de la santé et des droits fondamentaux des ouvriers agricoles, ou du respect de l'environnement comme en Guadeloupe et Martinique. Elle a donné son nom à des régimes politiques que l'écrivain O. Henry avait qualifié de "Républiques banières", états fantoches favorisant les intérêts de grands trusts ou d'États tiers*. Ce fut le cas en Amérique Latine avec la fameuse et funeste United Fruit Company (devenue en 1989 Chiquita Brands International), un groupe agro-alimentaire qui pouvait influencer des gouvernements, ou même installer ou déposer les pouvoirs en place, au gré de ses intérêts et de ceux des Etat-Unis.
Dans Cent ans de solitude, Gabriel Garcia Marquez revient sur l'un des hauts faits de la United Fruit Company et du capitalisme, le massacre des bananeraies (Masacre de las bananeras), perpétré par l'armée colombienne à la demande de l'United Fruit Company en 1928 . Près de 1000 ouvriers agricoles syndiqués sont massacrés à Ciénaga, dans la région de Santa Marta (côte caribéenne de la Colombie).
Ce fut le déclencheur dans le roman de Marquez des pluies, qui durèrent quatre ans, onze mois et deux jours, qui condamnèrent le village fictif de Mocondo. Un Déluge, comme une réponse face à l'avidité humaine, face à un homme qui s'érige au sommet de la chaîne alimentaire du vivant.
Ici débarqué d'un Cargo-Bananier le fruit nourricier, et de l'autre côté de l'Atlantique les toxiques paradis. Ces starlettes warholienne nous apparaissent dans leur bipolarité : jaune immaculé, insouciant et oublieux, sourires débridés, exotisme à croquer, elles nous apparaissent également parcourues d'un entrelacs de lignes et de taches noires révélant des peaux blessées, scarifiées, des corps repliés ou putréfiés.
Manifesto Bananero met en tension paradis et toxique, exotique et inquiétude, vivant et impuissance. Tout comme la série de peintures Dentro las manos ou l'installation The Tears of Bananaman (2009, ongoing) - 300 kg de bananes scarifiées de mots mis à pourrir pendant la durée de l'exposition -, Manifesto Bananero pose la question de la part toxique de l'homme, comme elle pose la question de l'atteinte.
*Les pays producteurs étaient au XXe siècle situés en Amérique Centrale, Afrique tropicale ou Caraïbe. La banane a récemment muté dans sa géographie dans le contexte de la mondialisation : les premiers producteurs sont actuellement l'Inde et la Chine.
ARTIST STATMENT (accompagnant cette série de dessins)
Je suis né le 14 avril 1971 à Fort-de-France en Martinique, dans une île française, comme la Guadeloupe, située dans la Caraïbe. J'ai grandi dans le centre rural de cette petite île, dans la commune du Saint-Esprit, là où se pratique la monoculture de la banane vouée à l'exportation vers la France, vers l'Europe.
J'ignorais, comme ma famille, mes voisins et la plupart des Martiniquais et des Guadeloupéens que la terre, l'eau des rivières, puis la mer, étaient en grande partie imbibées d'un pesticide de la famille du DDT : le CHLORDECONE.
J'ignorais que le CHLORDECONE avait été interdit aux Etats-Unis en 1975 : une catastrophe écologique survenue en Louisiane avait dévoilé au public ce toxique à la mortelle formule.
J'ignorais que le C10Cl10O n'avait été interdit par la France qu'en 1990, quinze ans après.
J'ignorais que le C10Cl10O avait été épandues dans nos îles jusqu'en 1993, trois années après l'interdiction en France avec pour argument qu'il n'existait pas d'alternatives à ce pesticide pourtant hautement cancérigène. J'ignorais que la Martinique avait le plus fort taux de cancer de la prostate au monde.
J'ignorais que le C10Cl10O, classé Polluant Organique Persistant restait actif et mortel des dizaines d'années et peut-être des centaines, rendant les terres et mers polluées en partie impropres aux cultures vivrières, et à la pêche. Notre dépendance au produits alimentaires importés déjà extrême, n’en ai que savament renforcée.
Les Bananes mangées en Europe ne contiennent aucune traces de C10Cl10O. Le CHLORDECONE ne se retrouve que dans la terre où le bananier a tiré sa force : en Martinique et en Guadeloupe.
Débarquent des Cargos-Bananiers dans les ports d’Europe le jaune immaculé, le sourire débridé, l'exotisme à croquer de ces starlettes warholiennes. De l’autre côté de l’Atlantique, dans mon île poubelle, se repaissent les toxiques à l’impunité sans bornes, dans nos îles poubelles, les décennies sous perfusion CHLORDECONE.
Jean-François Boclé, 18 novembre 2010
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