jean-françois boclé
Mirna Boyadjian, Québec-2018--ref678
French below

Monochrome-moi 

In Monochrome-moi (Monochrome Me), Jean-François Boclé creates what one might describe as a sys- tem of black boxes, or, more specifically, a series of opaque hotbeds of power that operate continuously within the element of history. Boclé revisits the legal-political treaties, the strategic alliances that confi- gured the world of sovereignties in which we live: the Treaty of Tordessillas, for instance, signed on 7 June 1494 under the auspices of the papacy, attributing control of half the planet to Portugal and Spain. Or, for example, the Treaties of Sèvres (1920), Paris (1898), and Utrecht (1713). We ultimately in substance know very little about how the negotiations crystallized, aside from their subsequent effects and their ir- reversible nature. The artist’s undertaking subtlety occupies and transforms the space of historic matter’s still active subjacent vibrations. The past hasn’t passed; or, in other words, history is not seen as a teleo- logical and linear succession, but rather as a series of contingent acts superposed in layers that press the tensions of the global chaos-world.

For the Craie blanche sur fond noir series (White Chalk on Black Background, 2018), the artist painted three canvases of varying sizes, then re-transcribed each of the treaties in white chalk over several days, or even weeks. Boclé wrote non-stop, erasing nothing, until he could physically no more, suffering extreme muscle cramps, inflammation, and scorched skin; until his eyes were exhausted too, blinded by the surface of the canvases as they became covered in white chalk. From this, abstract images emerge, produced by the superpositions of words; monochrome white on a black background, reminiscent of the spiritual journey of Malevitch. From a symbolical point of view, this process of abstracting the now-illegible treaties prefigures a regime of visibility that captures utterances. Here, this transformative cannibalizing operation reverses the power of enunciation. A space opens at the core of the body’s exhaustion, traversed by the violence of carving up the world; a space in which a gaze stripped of its sedimentation is constructed to see at last. «A seeing unseeing «, as Boclé describes it.

This force field is set in motion all the more with the video Attachement aux quatre coins – Amarrar Mundele (Attachment to Four Corners – Attach Mundele, 2017), a reference to the 1955 Bandung Conference. This coming together of twenty-three «Third World» countries marked the emergence of an international force of resistance, and later the Non-Aligned Movement. It called, among other things, for the indepen- dence of the colonized nations and the fight against all forms of imperialism. In his video, Boclé knots the flags of the countries represented, the tying and knotting perhaps gesturing to an alliance to be continued. Although this polychromatic work stands out from the rest of the exhibition, it would be wrong to see it as a sign of a unitary counter-force. It tends, rather, to express a force between the centres of domination, a force whose filiation is not fashioned on a Western – that is, «transparentist» – conception of the world. «Transparency is no longer reflected in the depths of the mirror in which Western humanity saw the world in its image; in the depths of the mirror there is now opacity.»
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It is indeed this opacity that we find in the Je ne savais pas (I Didn’t Know, 2005-2017) sound installation, which plays on all the possible formulations of the French language that use the verb savoir (to know): «he must have known something about it. He couldn’t have known. We always knew so...». It exhausts language, surpasses it, breaking with the desire for clarity, punctuating knowing to the very depths of the well of knowledge. Hence the title of the exhibition which, to me, echoes the right to opacity so dear to Glissant : the right for us all to keep our «shade», our opacitas, that is, the zones of not knowing that resist all attempts at categorization. In this respect, Monochrome-moi (Monochrome Me) is less a homogenizing imperative utterance than a call, a breath in the heterogenous weave of the present.

1- Édouard Glissant, « Transparence et opacité », Poétique de la relation, Paris, Gallimard, p.125.

Mirna Boyadjian 

 







Monochrome-moi 

Avec Monochrome-moi, Jean-François Boclé matérialise ce qu’on pourrait nommer un réseau de boîtes noires, plus précisément une série de foyers opaques de pouvoir qui agissent en continu dans l’élément de l’histoire. Les accords juridico-politiques, ces alliances stratégiques que revisite Boclé, ont configuré le monde des souverainetés dans lequel nous vivons. Prenons le traité de Tordessillas signé le 7 juin 1494 sous l’égide papale. Il attribuait au Portugal ainsi qu’à l’Espagne le contrôle sur une moitié de la planète. Ou encore les traités de Sèvres (1920), de Paris (1898), d’Utrecht (1713), etc. En substance, on en sait finalement très peu sur comment ces négociations se sont cristallisées, sinon par leurs effets subsé- quents, leur caractère irréversible. Avec subtilité, les gestes de l’artiste occupent et transforment l’espace des vibrations souterraines, toujours actives, de la matière historique. Le passé ne passe pas, c’est-à-dire que l’histoire ne s’envisage pas comme une succession téléologique et linéaire, mais plutôt comme une série d’actes contingents qui se superposent en strates où se pressent la tension du chaos-monde global.

Pour la série Craie blanche sur fond noir (2018), l’artiste a peint de noir trois toiles de format varié ainsi qu’un mur de la galerie avant de retranscrire chacun des traités à la craie blanche durant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Boclé a écrit sans relâche, sans passer l’éponge, jusqu’à l’épuisement de ses membres; contraction extrême des muscles, inflammations, brûlures de la peau. Épuisement aussi du regard aveuglé par la surface des tableaux qui se recouvre de la blancheur de la craie. Il en résulte des images abstraites produites par superposition de mots ; monochrome blanc sur fond noir, évoquant l’aven- ture spirituelle de Malevitch. D’un point de vue symbolique, ce processus d’abstraction des traités, deve- nus illisibles, préfigure un régime de visibilité qui capture des énoncés. Cette opération cannibalisante, transformatrice, renverse ici le pouvoir d’énonciation. Un espace se déploie au cœur de l’épuisement du corps traversé par la violence des découpes du monde où s’édifie un regard dépouillé de sa sédimentation pour enfin voir. « Une non-voyance qui voit » pour le dire comme Boclé.

Ce champ de forces s’anime d’autant plus en relation avec la vidéo Attachement aux quatre coins – Amarrar Mundele (2017) qui fait référence à la conférence de Bandung tenue en 1955. Cette rencontre entre vingt-neuf pays du « tiers monde » marqua l’émergence d’une force de résistance internationale puis du mouvement des non-alignés. Elle revendiquait entre autres l’indépendance des pays colonisés et la lutte contre les impérialismes. Dans sa vidéo, Boclé procède au nouage des drapeaux des pays représentés: nouer et tendre ne sont-ils pas les gestes d’une alliance à poursuivre ? Si au sein de l’exposition, l’œuvre tranche par sa polychromie, il serait inexact d’y percevoir le signe d’un contre-pouvoir unitaire. Elle tend plutôt à exprimer une puissance entre les centres de domination, une puissance dont la filiation ne se fonde pas sur une conception occidentale, c’est-à-dire transparentaliste du monde. « La transparence
n’apparaît plus comme le fond du miroir où l’humanité occidentale reflétait le monde à son image; au fond du miroir il y a maintenant de l’opacité ».1

C’est bien cette opacité que l’on retrouve dans l’oeuvre sonore Je ne savais pas (2005-2017) se jouant de toutes les phrases possibles avec le verbe « savoir » puisées dans la langue française : « il devait bien en savoir un peu. Il ne pouvait pas savoir. On sait toujours tout...». Épuiser la langue, la déborder et rompre avec la volonté de clarté, rythmer le savoir jusqu’au fond du puits de la connaissance. D’où le titre de l’exposition, qui, me semble-t-il, renvoie au droit à l’opacité si cher à Glissant; droit à chacun de garder son « ombre », opacitas, c’est-à-dire des zones de non-connaissance irréductibles à toute tentative de catégorisation. Monochrome-moi est en ce sens, moins un énoncé impératif homogénéisant, qu’un appel, un souffle dans la trame hétérogène du présent.

1- Édouard Glissant, « Transparence et opacité » dans Poétique de la relation, Paris : Gallimard, p.125.



Mirna Boyadjian 



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