Evelyne Toussaint, France-2008--ref248
"Jean-François Boclé. Retournements"
Ouvertures sur images
Selection of ten texts of Evelyne Toussaint
Collection Les conférences du Parvis
Publication of ten conferences about ten artists given by Evelyne Toussaint, Lecturer in Contemporary Art (Maître de conférences en histoire de l’art contemporaine) in the University of Pau et des Pays de l’Adour (France).
The ten artsists, Jean-François Boclé, Mounir Fatmi, Elias Heim, Enrica Borghi, Alain Declercq, Basserode, Panacea; Christelle Familiari, Francis Baudevin, and Renée Levi had a solo exhibition at the Parvis centre d’art contemporain (Ibos, France, curator of Le Parvis till march 2009: Odile Biec).
Evelyne Toussaint has wrote about ten artists, selection of the artists who has exhibited in Le Parvis during the last years.
Texts: Evelyne Toussaint
"Jean-François boclé. Retournements", p26-33.
Publication edited by Le Parvis-Centre d’Art Contemporain and Un,Deux… Quatre éditions
150 pages, colour and B&W illustration, 17 x 24 cm
ISBN : 978-2-35145-083-3
>website Le Parvis
>website Un, Deux...Quatre éditions
Extracts [Français]:
Jean-François Boclé est né en 1971 à Fort-de-France. Très tôt la question de l'identité s'est placée pour lui du côté de l'incertitude. À quinze ans, son arrivée à Paris après un départ brutal – sans même qu'il ait eu le temps de faire ses bagages – , est l'occasion de la découverte d'un "nouveau monde", celui, comprend-t-il bientôt, du délit de faciès. L'exil s'ajoute à la perte antérieure des photographies de sa petite enfance, plaçant à nouveau pour lui "l'identité du côté de la béance" et fondant l'origine d'un dispositif d'énonciation dans lequel le signifiant disparition constituera le matériau premier. Lors de sa formation à l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts, la problématique de l'effacement des mémoires individuelles ou collectives, celle de la perte – volontaire ou non –, d'information et de sens, devient le fil conducteur d'un travail de mémoire sur la traite Atlantique et la colonisation. Jean-François Boclé entreprend alors une recherche documentaire, lit Édouard Glissant, Louis Sala-Molins et tous ceux qui mettent au jour le scandale toujours actuel de l'esclavage et les lacunes que comporte l'histoire concernant l'Afrique et la Caraïbe, mais aussi la violence et l'exclusion au quotidien, aujourd'hui, dans les milieux urbains européens. […]
Gilles Deleuze évoque ce qu'il appelle un art de la contre-information : "La contre-information n'est effective que lorsqu'elle devient un acte de résistance. Quel est le rapport de l'œuvre d'art avec la communication ? Aucun. L'œuvre d'art n'est pas un instrument de communication. L'œuvre d'art n'a rien à faire avec la communication. […] Elle a quelque chose à faire avec l'information et la communication à titre d'acte de résistance. Quel est le rapport mystérieux entre une œuvre d'art et un acte de résistance, alors que les hommes qui résistent n'ont ni le temps ni parfois la culture nécessaire pour avoir le moindre rapport avec l'art ? Je ne sais pas. […] Tout acte de résistance n'est pas une œuvre d'art bien que, d'une certaine façon, elle le soit. Toute œuvre d'art n'est pas un acte de résistance et pourtant, d'une certaine manière, elle l'est" .
Jean-François Boclé fait précisément, dans sa démarche artistique, œuvre d'information et de communication, en développant lui aussi une pensée de la résistance. Interrogé sur la place de la critique dans l'art et dans sa vie, il répond : "J'écoute". Il active cette attitude lors de ses séjours en Martinique pour y faire le constat d'"une société qui se dépêtre dans une situation coloniale qui imprègne tout", avec "le sentiment que le garrot ne cesse de se resserrer" et que ce lieu "bien malade" nécessite un retournement.
Il s'agit, précise l'artiste, de "garder le regard opérant, c'est-à-dire critique, mobile, périlleux", et ses commentaires éclairent le mode opératoire d'un art critique, en termes pragmatiques d'écoute et de regard, de disponibilité et d'ouverture à l'autre, de mobilité et de prise de risque, selon une méthode commune à l'artiste et au chercheur. […]
Contre la politique de l'amnésie, Jean-François Boclé multiplie, en Martinique comme en métropole (comme le vocabulaire porte ici la trace de l'histoire !) ou ailleurs dans le monde, des occasions de dialogue, en milieu scolaire ou carcéral, auprès d'étudiants d'écoles d'art ou d'universités. Il n'est pas anodin qu'il cite, parmi les références qui lui sont chères, l'artiste brésilien Hélio Oiticica qui instaura au début des années 1960 un "programme ambiantal" selon une démarche critique à laquelle il fit participer les habitants de la favela de Mangueira, lors de certains happenings centrés sur l'"adversité" et les réponses contestataires, novatrices et libératrices qu'elle peut engendrer.
Jean-François Boclé donne à voir, sans aucune concession ni ambivalence, l'oppression d'un pouvoir sans cesse relayé aux niveaux religieux, politique, familial et intra-psychique et le déni généralisé ainsi orchestré. Quel rôle peuvent jouer l'histoire, le droit, la politique, l'art, la psychanalyse, la philosophie pour agir sur les causes qui peuvent rendre un événement invisible et inintelligible ? Pour ce qui est de la fonction de l'art, Boclé répond en partie à la question.
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